J’ai arrêté de boire à 43 ans.
Ma fille avait alors 14 ans et mon fils 6 ans. Je croyais être la seule mère de famille qui buvait et qui cachait ses bouteilles. Quelle ne fut pas ma surprise d’en rencontrer d’autres autour des tables de réunions.
J’avais tellement honte. Je me croyais mauvaise. Mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise personne. Je me croyais faible, incapable que j’étais de résister à l’appel de l’alcool. Il m’en fallait.
Tous les soirs, je me couchais en me disant : demain j’arrête. Tous les matins, je courrais vers la première gorgée en me disant : demain j’arrête.
Comment en étais-je arrivée là ? Lentement, insidieusement, sans m’en rendre compte. Comment étais-je passée de la bonne vivante, de la fêtarde appréciant les bons vins et les cocktails savoureux, à cette pauvre petite chose tremblante et bouffie ? Je ne le sais pas et aujourd’hui ça ne m’intéresse plus vraiment.
J’ai essayé de comprendre, car, dans ma logique, si je comprenais je pourrais m’attaquer aux causes et réussir à me contrôler. Mais quand l’alcool vous a attrapé, il n’y a plus de logique, il n’y a plus de contrôle.
Je me suis confiée aux médecins. Je les remercie de leur grande patience à mon égard ! Mais je n’avais pas compris que je devais être acteur et faire ma part du chemin. J’étais docile, je suivais leurs prescriptions (médicaments, cures), mais je restais comme étrangère à mon problème. Alors, bien sûr, rien ne fonctionnait durablement. Après chaque arrêt, gagné de haute lutte et dans la souffrance, je retournais à ma chère bouteille, et je buvais en quelques jours tout le fruit de ma courte abstinence. Ce qui me donnait à chaque fois des prétextes supplémentaires pour boire, j’étais tout le temps dans l’échec.
Un jour, après la période des fêtes de fin d’année que j’avais vécue dans un grand trou noir, j’ai demandé à mon médecin de m’interner chez les fous. Une chambre capitonnée et une camisole de force, je ne voyais plus que ça pour m’empêcher de boire. Il m’a répondu qu’il le ferait mais qu’il aimerait bien qu’avant j’aille voir les Alcooliques anonymes. Je n’avais plus la force de négocier, alors j’ai fait ce qu’il m’a dit.
Je me souviendrais toujours, je pense, de ma première réunion. J’avais bu juste ce qu’il faut pour avoir le courage d’y aller, mais pas trop pour faire bonne figure. J’étais encore dans l’illusion que je pouvais tromper mon monde !
“Ils” ont été gentils avec moi, m’ont tendu une chaise, m’ont souri, m’ont même donné la parole. Ils m’ont écouté quand je leur ai expliqué pourquoi moi, ce n’était pas pareil qu’eux. Bien sûr que ce n’était pas pareil ! Eux, ils avaient l’air contents d’être là, ils se disaient tout haut “alcooliques”, ils en parlaient, en plaisantaient même un peu, ils avaient l’air en forme, ils avaient les yeux clairs et le regard souriant. Moi, j’étais malheureuse comme une pierre, perdue, les yeux injectés de sang, je titubais, j’avais honte, j’aurais tellement voulu être ailleurs. Bien sûr que je ne suis pas venue chez les AA par vertu !
Je n’ai pas arrêté de boire tout de suite, mais je me suis accrochée aux réunions, à ces “gagnants”, je sentais confusément que c’était là et nulle part ailleurs que cela se passerait, si ça devait se passer. Et un matin, je n’ai pas bu. je ne m’explique toujours pas pourquoi ce matin là et pas la veille ou pas le lendemain. Je me suis levée et je n’avais tout simplement plus “soif”.
Ca fait dix-neuf ans que ça dure. Parce que j’y ai cru et que j’y crois encore. Parce que je vais en réunion régulièrement et que je travaille sur moi grâce à la méthode de rétablissement des AA. Parce que j’ai une marraine et des amis AA qui m’écoutent et me soutiennent quand la vie me fait des croche-pieds. Parce que je ne manque pas les occasions qui me sont offertes de témoigner de mon parcours et que je peux contribuer ainsi à aider. Parce que je me suis mise à l’oeuvre depuis que j’ai compris que je suis le principal acteur face à ma maladie. Parce que j’ai accepté tout simplement que je suis alcoolique et que ma vie n’est pas une tragédie.