Commençons par un résumé de ce récit, en feuilletant le diaporama qui a servi de support aux interventions.
Déroulons maintenant les textes complets de chaque intervenant
Sandrine Charnier, une des quatre administrateurs des AA non alcooliques issus du monde professionnel, introduit la réunion :
Je suis très heureuse de vous retrouver ici pour la table ronde des professionnels du 61ème anniversaire des Alcooliques anonymes, un congrès que nous attendons tous avec grande impatience après ces deux années un peu particulières.
Je suis heureuse de partager avec vous ce grand moment et ces belles rencontres que nous allons avoir.
Cinq professionnels ont accepté de venir présenter leur vécu et leur ressenti : Le Dr Martini, le Dr Milleret, Mr Lallemant, le Dr Laborieux et le Dr Belveze.
Pour avoir eu la chance de discuter personnellement avec chacun d’eux, je peux vous dire qu’ils ont beaucoup à partager et je compte sur vous pour interagir à la fin des présentations, pour poser toutes les questions qui vous viennent à l’esprit, et pour faire de ce moment, un moment d’exception.
Quatre membres des alcooliques anonymes et une membre des Al-anon vont illustrer le thème abordé par les professionnels en partageant leurs expériences : Raphaëlle, David, Catherine, Martine et Agnès. Et pour aussi, avoir eu la chance d’écouter leur témoignage, je vous invite à les écouter avec attention.
J’espère que vos ceintures sont bien attachées. Le voyage démarre …
PREMIERE SEQUENCE : SANS TABOU - Dr MARTINI et RAPHAELLE
Oser AA, c’est oser dépasser des préjugés, aller au-delà de ses peurs, au-delà des stéréotypes. Mais comment dépasse-t-on ces idées préconçues pour découvrir ce qu’est vraiment AA : une voie vers la liberté, vers l’humilité, vers la spiritualité … »
Le Dr Martini est médecin addictologue. Il a été responsable du service d’hospitalisation puis de l’hôpital de jour en addictologie à Nancy. Il est secrétaire général à l’association Addiction France Paris et exerce aujourd’hui en médecine du travail.
« Alcooliques Anonymes, voilà deux mots simples mais si lourds de sens.
Alcoolique : il claquait pour moi comme une étiquette, sans fondement scientifique, ne répondant pas aux critères du DSM ou de la CIM. Il n’y a pas un alcoolique mais des histoires de vie. Puis cette étiquette nous renvoie à notre propre peur : devenir alcoolique, celui qui est au bar et qui boit, qui « boit pour oublier qu’il boit ». Et pourtant les AA le scandent le revendiquent comme une étape essentielle d’un cheminement intérieur porté par le groupe.
Anonymes : pourquoi anonymes ? Par pudeur, par honte comme une première lecture superficielle pourrait nous laisser penser… non sans doute pour gommer les préjugés, tous nous nous retrouvons à égalité face à cette maladie que nous avons souvent dans nos sociétés du mal à appréhender.
Il faut ou plutôt je dois dépasser ces idées reçues qui se sont constituées au fil de la formation médicale et d’´histoires personnelles.
Pour comprendre, je devais avant tout découvrir et ÉCOUTER l’autre, descendre de ma place de sachant et devenir celui qui écoute. Posture inconfortable car c’est pour nous, sortir de notre zone de confort.
L’art de la rencontre si subtil à appréhender et pourtant si important dans ce travail d’alliance entre le thérapeute et la personne.
Savoir être bienveillant, trouver cette distance suffisante et pourtant n’être pas loin comme cette petite veilleuse que l’on retrouve au pied des lits dans les chambres d’hôpital que nous arpentions en tant qu’interne les soirs de garde.
Dépasser nos – mes- craintes.
Dans notre société de spiritualisé ou Descartes règne en maître – c’est oublié que Descartes, c’est surtout le raisonnement mais pas l’absence de spirituel ! C’est laisser place à ce que nous ne pouvons expliquer…ce déclic, ce moment, cette inspiration… cette grâce autant de mots qui essaient de décrire ce qui se passe danse cet être qui va se « rétablir » que parfois scientifique nous n’arrivons pas à expliquer. »
Raphaëlle
membre AA
« J’ai poussé la porte des AA en 2017 en Ariège où je résidais, à la demande de mon frère, qui selon une amie à lui, m’a dit : « Tu verras, ça marche ! Vas-y, je t’en prie ». Sans conviction, j’avais promis, j’y suis allée quelques semaines, puis … rien. En écoutant les partages, je croyais que j’étais différente et que j’arrêterai seule. J’avais de bonnes motivations : mon fils, mon travail. Tout était alors tabou, bien entendu ; j’étais quelqu’un de bien aux yeux des autres donc je ne pouvais pas être, moi, alcoolique. »
[…]
« Depuis ma rencontre avec les Alcooliques anonymes, je n’ai plus de tabous pour ma maladie alcoolique. J’en parle librement aux professionnels de santé, aux travailleurs sociaux, à ma curatelle et au juge pour enfants, … à mon employeur aussi. Je vis bien, toujours avec des soins, mais j’ose la spiritualité, j’ose être moi-même aujourd’hui car, un jour, j’ai osé les Alcooliques anonymes. »
DEUXIEME SEQUENCE : LA RENCONTRE - Dr MILLERET et DAVID
Ce premier pas, cette première fois… La rencontre est emplie de sens. Nous y trouvons accueil, convivialité, sourires mais aussi respect, discrétion, confiance et encore partage, écoute, empathie … Cette rencontre qui donne envie de revenir reste encore aujourd’hui un mystère à partager.
Le Dr Milleret, est psychiatre, praticien contractuel au centre hospitalier La Chartreuse à Dijon. Il a été chef de pôle et président de La CME, la Commission médicale d’établissement.
« S’il est difficile de décrire la démarche type d’une prise en charge d’un patient dépendant à l’alcool ou à d’autres produits, nous notons malgré tout certains points communs qui reviennent dans les soins impliquant une rencontre avec le milieu médical, paramédical et associatif comme le mouvement Alcooliques anonymes.
Parcours souvent émaillé de période de crises, de conflits, de séparations, d’attitudes défensives illustrant d’une manière générale une grande souffrance.
On a parlé de « déclic » illustrant ainsi une prise de conscience. Le patient se reconnaissant enfin comme enchaîné dans une aliénation aux produits l’amenant enfin à aborder une remise en question personnelles.
Souvent l’entourage exprime son malaise. Le médecin généraliste, pièce principale dans le parcours est aussi interpellé. Une coordination est nécessaire associant des professionnels de santé à des acteurs connaissant ou ont vécu les méandres de cette souffrances psychiques et tous les aspects tortueux associés. Cette rencontre permet d’ouvrir la voie à une prise en charge.
Si nous n’avons pas de schéma type mais les grands axes se retrouvent de manière identique, déclic à l’occasion d’un évènement en période de crise (séparation, confrontation à la Loi).
Mais aussi prise de conscience dans une réelle souffrance où le produit a pris le dessus aliénant le sujet, le rendant esclave, l’empêchant de gérer son existence et provoquant des conséquences souvent dramatiques. »
David
membre AA
« Lorsque j’ai poussé la porte des AA pour la première fois, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, j’avais un peu honte, un peu peur de ce que j’allais trouver.
Je m’imaginais peut-être rencontrer des personnes que je connaissais déjà, des personnes ivres ou en état d’ébriété. Mais peu importe, il fallait que j’aie le courage, car j’avais décidé de faire quelque chose pour ma problématique autour de l’alcool qui me gangrénait la vie et celle de mon entourage. »
[…]
« Mais ce n’est pas fini, ce n’est qu’un début, je dois revenir, et je reviendrai, pour ne pas oublier d’où je viens, et pour rendre à d’autres amis ce qu’ils m’ont donné et apporté ; Je ne serai pas le maillon qui fera rompre la chaine de la solidarité des AA. »
TROISIEME SEQUENCE : ETAPE PAR ETAPE - J. LALLEMANT et CATHERINE
AA propose un programme de rétablissement : les 12 étapes de ce programme, se font pas à pas, au rythme de chacun. Elles permettent de se construire ou de se reconstruire, d’évoluer. Un travail sur soi, une aventure sans fin et enrichissante. Tout cela en parallèle d’un suivi médico-psychologique et/ou social.
Mr Lallemant est infirmier psychiatrique addictologue. Il exerce depuis 1995 auprès de personnes consultant pour une problématique d’alcool ou de toxicomanie et aujourd’hui au sein de la Maison d’arrêt de Dijon qui est rattachée au CSAPA, Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie, du centre hospitalier La Chartreuse.
« ⇒ Pourquoi je suis là aujourd’hui
Mon parcours : je suis infirmier de secteur psychiatrique de formation depuis 1988 et la psychiatrie fut longtemps le lieu où l’on soignait tant bien que mal les malades alcooliques. Quelques médecins hospitaliers tels le docteur Thuillier à Auxerre ou le docteur Milleret ici présent à Dijon, ont compris très tôt la nécessité d’ouvrir des unités de cure hospitalières spécialisées et j’ai eu la chance de travailler de 1994 à 1996 dans l’une d’elle, l’unité Louis David à Auxerre. Je profite de cette occasion leur rendre hommage.
C’est alors ma 1ere rencontre avec les AA, j’assisterai à une réunion ouverte à Auxerre, un groupe très empathique et chaleureux. Il y avait d’ailleurs à cette époque dans l’équipe un infirmier ancien buveur membre des AA,
En 1997, j’intègre le SMPR de la Maison d’arrêt avec une mission alcool, sous l’autorité médicale du Docteur Milleret. Un groupe AA mensuel fonctionne depuis plusieurs années et le lien avec l’association se renforce, avec un respect et une confiance mutuelle.
En 2002, toujours au sein de la maison d’arrêt de Dijon, je prends mes fonctions au CSAPA Le Belem où je suis encore aujourd’hui.
Le travail avec les AA : la collaboration avec les AA est ancienne, éprouvée, basée sur une confiance mutuelle. Les exigences du travail en milieu carcéral, mais qui sont bien sûr aussi nécessaires dans un lieu de soin, que sont la discrétion, la neutralité et le respect des autres intervenants, la rigueur et la régularité de ses interventions, sont bien présentes chez chacun des membres avec qui nous travaillons.
Pour nos patients, les AA offrent l’avantage d’une association implantée au niveau national et qui peut donc répondre aux besoins d’une population souvent originaire d’autre départements. Elle est basée sur des concepts reconnus tant au niveau national qu’international qui structurent l’intervention et garantissent son sérieux. C’est sur un de ses outils, Les 12 étapes de rétablissement que l’on m’a demandé de porter mon regard de professionnel, cela en 10 minutes…
Pour autant suis-je légitime sur ce sujet : j’ai répondu à cette demande par amitié pour mes amis AA, mais peu rassuré sur mes capacités et ma légitimité à commenter un outil qui n’est pas le mien et j’aurais été plus à l’aise pour vous parler de ce que je fais. Je considère le soin relationnel comme un artisanat où l’on utilise bien sur des outils que l’on nous a transmis mais que l’on fait à sa main selon sa personnalité et son expérience et que l’on doit savoir adapter à la situation, à la personne rencontrée. Je connais bien mes outils mais bien peu ceux des autres !
Et ce programme est pour moi une chose bien étrange comme pour vous peut-être. Si vous souhaitez entrer réellement dans la compréhension de ce programme, n’importe quel membre des AA saura lors de ce congrès mieux que moi vous guider.
C’est donc bien modestement que je vais partager avec vous cette découverte.
⇒ Les 12 étapes
Ce que nous découvrons :
Une référence spirituelle ou religieuse : c’est ce qui frappe au premier abord, c’est l’aspect religieux du texte. Le nombre 12 dans l’intitulé, que l’on retrouve dans les grandes religions ; la présentation en affirmations successives comme autant de commandements ; l’évocation de Dieu « tel que nous le concevions », « d’une puissance supérieure », 6 fois présent. On croit retrouver la confession du christianisme car il faut avouer à Dieu ses torts (5). La prière ou méditation est préconisée (11). Même le résultat attendu final, n’est pas comme on pourrai le croire, l’abstinence, ou le bonheur mais « le réveil spirituel ». La transmission du message à d’autre alcooliques ne rappelle-t-elle pas aussi la mission des apôtres transmettant la parole ? Parlons vrai, cet aspect religieux est parfois à l’origine d’une méfiance des personnes que nous orientons. Cet appel à une force extérieure et même supérieure, diffère de notre approche qui tend à restaurer leur confiance en soi et développer leurs compétences, éclairés par leurs propres expériences, leur intelligence.
Une approche morale : dans ces étapes, l’alcoolique est coupable. Coupable de faire du tort à son entourage (5,8), il est plein de défauts (6,7), il doit les reconnaître et les réparer. Nous allons nous plutôt éviter ce qui pourrai apparaître comme un jugement moral et chercher plutôt à valoriser leur parcours malgré les échecs. Pointer les réussites. Nous reconnaissons les motivations positives de ses actes pour lui-même et surtout pour autrui, même si le résultat n’est pas celui escompté. C’est l’effet de l’alcool sur ses actes et ses pensées qui est à l’origine de ses problèmes.
Un travail centré sur les conséquences sociales : le programme en 12 étapes est centré sur les conséquences de l’alcoolisme pour son entourage et la façon de les résoudre. Nous allons nous plus explorer le « pourquoi », l’origine de ce comportement, son rôle pour l’alcoolique, son utilité si forte qu’il continu de consommer malgré les conséquences souvent dramatiques de ses alcoolisations dans tous les aspects de sa vie.
Ce que nous retrouvons :
L’usage du « Nous » : vous l’avez vu présent au début de chaque étape. Il inclut l’ensemble des membres, dont le lecteur au sein d’un groupe horizontal, fraternel, sans hiérarchie. Il permet l’identification, se sentir identique, avant même de se reconnaître dans le parcours de l’Autre. Cet usage du « Nous » est légitime aussi pour le professionnel. Il permet de réduire la distance crée par le cadre de la rencontre, de favoriser la création d’un lien thérapeutique. Il est légitime car il s’appuie sur notre similitude d’être humain. Il n’y a pas de différence de nature entre nous, et nous pouvons donc aussi nous comprendre.
La place de l’alcool : vous l’avez peut-être remarqué comme moi, le mot alcool n’apparaît qu’une fois dans les 12 étapes, et seulement dans la première. Cela pourrai surprendre pour une association qui lutte contre l’alcool. Et pourtant je retrouve dans mon expérience le même schéma. L’alcool est l’objet qui occupe le début du 1er entretien ou l’on explore sa place dans la vie de la personne, mais quand le travail commence vraiment il est de moins en moins évoqué ; L’histoire de vie, le vécu social, familial, émotionnel, occupent la place, L’alcool n’est plus le centre de sa vie, mais au contraire ce qui le cache. Ce qui est important est ailleurs.
Reconnaître son impuissance : ne plus mettre l’alcool au centre de sa vie passe aussi par une forme de « lâcher prise ». Face à l’épuisement d’une lutte pour contrôler sa consommation d’alcool ou son abstinence, lutte ponctuée de désillusions, d’espoirs, d’échecs et de culpabilité, reconnaître son problème et son impuissance à le résoudre seul est le préambule au recours au soin et autorise notre intervention extérieure. L’accompagnement d’une personne pour arriver à ce constat est souvent un long parcours.
L’inventaire moral : cela évoque l’introspection nécessaire. Bien peu s’écoutent et l’alcool sers à faire taire les pensées « je pense trop », à endormir les émotions souvent douloureuses. L’arrêt de l’alcool invite à écouter de nouveau ses ressentis, les seuls à même de nous guider, Il faut là, penser à soi d’abord, redécouvrir ses vraies valeurs.
La réparation : parmi ces valeurs redécouvertes, la plus importante reste la famille. Mais elle est associée à un fort sentiment de culpabilité qu’il faut traiter. C’est le sentiment de culpabilité qui rend le deuil impossible et fixe le traumatisme. Il peut être à l’origine d’un maintien des consommations s’il n’est pas accompagné. Après avoir pensé à soi, on peut penser aux autres. Rendre ce qu’on nous donner. La réparation des liens familiaux notamment par la mise en place d’une vraie communication permettant une compréhension mutuelle avec ses proches permet de faire la paix avec soi-même et avec les autres.
⇒ Pas de complémentarité sans différence :
L’approche des AA nous parait souvent bien singulière mais il n’y a pas de complémentarité sans différence. Elle reconnaît le rôle des soignants sans chercher à s’y substituer, elle accompagne les personnes en dehors des temps de soin, au plus près de leurs vies, disponibles en dehors des horaires des professionnels, proposant un chemin spirituel, fraternel et désintéressé au malade alcoolique, favorisant par le groupe l’intégration sociale. Leurs interventions participent de façon indispensable à la diversité des prises en charges médicales, psychologiques et sociales du problème alcool dans notre société. »
Catherine
membre AA
« Quand je suis arrivée chez les Alcooliques anonymes, je pensais qu’il suffisait d’arrêter de boire pour aller mieux et régler mon problème avec l’alcool. J’ai rapidement et douloureusement compris que le problème principal venait de moi et de mon incapacité à vivre comme la plupart des personnes. Un problème = un verre, une joie = un verre, de l’ennui = un verre et ainsi de suite … »
[…]
« Il est donc illusoire de penser faire ce travail une fois pour toute. C’est le travail de toute une vie et à adopter comme un nouveau mode de vie. Adopter une nouvelle paire de lunettes. Le monde n’est pas notre ennemi comme nous pouvons le penser dans la consommation. Il est juste le contexte dans lequel nous devons nous adapter. Si nous perdons de vue le travail des étapes, c’est laisser la porte ouverte au retour de nos travers. Chasser le naturel, il revient au galop. C’est cette peur qui aujourd’hui m’incite à toujours participer aux réunions des AA et de poursuivre mon travail des 12 étapes. Il me rappelle que mon ennemi numéro n’est pas l’alcool. C’est moi dont je dois me méfier. En tout premier lieu. »
QUATRIEME SEQUENCE : AVANCER ENSEMBLE - Dr LABORIEUX et MARTINE
Avancer ensemble, professionnels et membres des AA, c’est trouver une complémentarité, être solidaire, chacun à sa juste place avec ses points forts, ses limites et son domaine d’expertise.
Le Dr Laborieux est médecin généraliste. Il a réalisé sa thèse de Médecine en 1985 sur la maladie alcoolique. Il a travaillé dans un service interne de Macon et a créé une consultation d’addictologie. Il exerce aujourd’hui en tant que médecin généraliste, avec une très grande sensibilité pour l’addictologie.
« En 85, jeune interne, je découvre à l’Hôpital de Mâcon, la prise en charge du malade alcoolique avec le Dr Gallois, qui m’a formé = m’a ouvert à une compréhension de ce qu’est la maladie alcoolique.
Je fais ma thèse de médecine générale, sur le thème de la prise en charge en ambulatoire du malade alcoolique, et pendant celle-ci je rencontre des AA de Mâcon et participe à des réunions ouvertes = on va presque dire que c’est une « sorte de révélation » (chaleur, accueil, non jugement, force et impact des témoignages etc…).
Depuis 91 je travaille en libéral et accompagne quotidiennement des patients malades alcooliques en consultation
Avancer ensemble : La complémentarité AA – généralistes c’est quoi ?
– en alcoologie, rien n’est miraculeux, tout est complémentaire
– en pratique, depuis toutes ces années, je « pousse » les patients à aller aux AA et les AA de la région conseillent à certains patients de venir me voir
– et les intérêts de cette complémentarité :
1/ élargir la prise en charge :
– lever l’isolement (et de fait travailler sur la culpabilité et donner une capacité d’espoir dans le désespoir)
– avancer sur l’acceptation de la notion de maladie alcoolique (en parler avec d’autres « semblables » en étant différents – passer d’un colloque singulier avec le médecin à une ouverture en public mais dans la bienveillance)
– augmenter le « maillage » dans le temps d’accompagnement : les suivis classiques en ambulatoire sont souvent espacés, pas forcément très long en temps et ce temps réunion (ou visio) permet de garder « la lumière allumée »
2/ dans les consultations de début de suivi : utilisation de la thématique (vocabulaire AA)
Avant même le contact avec les AA,
J’utilise très facilement des éléments de base des AA : (ex 24 après 24 h, la prière de la sérénité, le non jugement (de ma part déjà), tu n’es pas responsable de ta maladie, tu es responsable de ton rétablissement –amélioration, etc…)
D’une part parce que ça a la vertu d’être simple et clair
D’autre part parce que je sais que ça pourra faire écho à ce qui pourra être entendu et travaillé plus tard en réunion (s’approprier les phrases – les faire siennes)
3/ après le contact avec les AA
Au-delà des thèmes d’accompagnement et d’écoute habituels, prendre aussi le temps de réaborder les thèmes qui ont marqué le patient lors de réunions, humblement, essayer de réanalyser, reverbaliser, repréciser et rapprocher du vécu du patient
4/ dans le suivi à plus long terme. Là encore, la thématique AA est d’un grand secours pour réaborder les thèmes de reconstruction personnelle, de bénéfices, de reconstruction familiale ou … de la rechute
Conclusion : En pratique, donc au-delà du lien fort et ancien entre le groupe local et moi, c’est cette complémentarité -avec effectivement les capacités de chacun – qui permet au patient de faire un chemin à la fois d’accompagnement et à la fois d’autonomisation. »
Martine
membre Al-Anon
« Après une enfance heureuse et une adolescence insouciante, j’ai ressenti le poids du problème d’alcool de Maman : sa consommation d’alcool m’inquiétait ! Il fallait réagir. Après une première démarche auprès d’un professionnel, je suis sortie très frustrée : je ne pouvais rien faire pour aider Maman. »
[…]
« Et nous avons avancé ensemble : Maman avec la fraternité des AA et moi celle d’Al-Anon. Nous avons trouvé un programme de rétablissement pour toutes les deux mais chacune à sa place et chacune dans son ressenti. Le programme de toute une vie.
Je ferai un dernier constat : nous avons trouvé un message d’espoir. Cela fait 21 ans que Maman est abstinente ! Quant à moi, j’ai trouvé la sérénité ! »
CINQUIEME SEQUENCE : ET APRES ? - Dr BELVEZE et AGNES
Au-delà d’un programme de rétablissement, AA est un mode de vie. Continuer ensemble sans s’essouffler : garder le contact, participer à des anniversaires, venir à des réunions, s’ouvrir à des informations publiques, s’engager… Les possibilités sont nombreuses et restent encore à inventer ensemble.
Le Dr Belvèze est psychiatre et pour reprendre ses paroles « psychiatre devenu addictologue ». Il a créé un centre de cure et de postcure ainsi que des consultations de proximité au sein de centre hospitalier Bel Air, à Charleville-Mézières. Il a été aussi président d’Alcooliques anonymes pendant 8 années. Et il profite aujourd’hui d’une retraite grandement méritée.
« Chers amis,
Je m’appelle Paul, je suis votre past-serviteur président, et j’ai le privilège d’évoquer avec vous 8 années de présence au CA, comme administrateur de classe A.
Ces 8 années sont passées très vite, et il me parait illusoire de revenir sur tous les évènements vécus. J’ai connu 3 vice-présidents, Roland, Agnès, Didier, et je peux témoigner de leur engagement sans faille au service de l’association.
Je me souviens surtout de la 1ère rencontre, comme dans les histoires d’amour ! Lucette et Rachel sont venus me voir à mon bureau pour m’inviter à candidater au poste d’administrateur de classe A. D’abord surpris (pourquoi moi ?) puis flatté, j’ai immédiatement appelé Emmanuel Palomino qui achevait ses 8 années de service. Bien sûr, il m’a rassuré sur la charge de cet engagement, et j’ai accepté. Je me rappelle avoir pensé à ce moment-là : je vais être avec les AA, dans le conseil, je vais peut-être comprendre le fonctionnement des réunions, savoir comment ça marche !
Je dois bien reconnaitre que je n’en suis pas revenu ! Mon souvenir le plus puissant ? Les congrès ! A chaque fois, et toujours la même magie. Ces visages souriants, cette bienveillance, cette gentillesse, et l’humour, la discipline, cette organisation millimétrée !! Et ce sont tous des personnes alcooliques ? Oui ! mais des alcooliques rétablis, grâce à une mystérieuse méthode de réunions.
Je dois bien reconnaitre que je n’ai aucune explication rationnelle pouvant démontrer cette réussite. Il suffit de venir en réunion ! « Quand tu vas mal, vas en réunion ! Quand tu vas bien, vas aussi en réunion ! » Et j’avais devant les yeux la preuve évidente que cela convenait bien à un grand nombre de personnes.
Qu’est-ce qui avait de particulier ? De la simplicité, du partage, des témoignages, du respect les uns pour les autres, et cette formidable ambition d’aider les autres à s’en sortir !
Je ne suis pas sorti indemne de cette aventure. Toutes ces rencontres ont eu un réel impact sur ma façon de voir les choses, de comprendre non seulement les autres mais aussi moi-même.
ET APRES, c’est le titre de mon intervention, il arrive un peu tard ! La vie a repris son cours, avec son lot de joie et de peine.
Ai-je gardé des habitudes ? La prière de la sérénité c’est ce qui m’aide le plus. Mais aussi les mantras : « on ne peut pas faire à la place de l’autre », « 24 heures à la fois » (n’est-ce pas, Agnès, te rappelles-tu nos échanges téléphoniques ?) Ce mode de vie, je le pratique.
Avec le recul, j’ai la conviction que la puissance supérieure, que l’on appelle dieu ou la conscience de groupe, prend soin de nous, que l’on soit croyant ou pas. Cette force qui se dégage à chaque congrès, j’ai envie de la nommer état de grâce ; bien sûr, il y a moins de réunions, de conférences, mais il y a toujours l’invitation aux bougies, les réunions ouvertes, et la participation au congrès !
Je voudrais terminer en vous disant mon plaisir et ma reconnaissance de vous retrouver à Dijon ce matin.
Continuez ! Continuez à travailler ensemble, pour votre bien, et pour le bien que vous faites aux autres
Je vous remercie »
Agnès
membre AA
[…]
« Chez les AA, nous essayons de faire rimer anonyme avec visible et audible. De nous montrer sans nous afficher, de nous présenter sans nous vanter. Pas toujours simple. Mais chez les AA, nous ne craignons pas grand-chose. Notre vie dans l’alcool a été un désastre sur lequel pourtant nous avons pu construire de solides fondations une fois le verre posé. C’est cette expérience qui guide toutes nos actions. Parfois, ce sont de petites actions, parfois des projets beaucoup plus ambitieux. Que ce soit l’affiche déposée à la pharmacie de notre quartier ou un spot de trois minutes sur France 2, le but est exactement le même : susciter l’attention d’un alcoolique en recherche d’aide.
En chaque membre AA, il y a cette idée que tout alcoolique mérite qu’on s’intéresse à lui. Que cela vaut le coup d’aller le rencontrer là où il est pour tenter d’allumer en lui cette petite lumière d’espoir qui va faire la différence. »
[…]
CONCLUSION : MARION ACQUIER
Marion Acquier est présidente de l’association Alcooliques anonymes France. Elle est psychologue clinicienne, administrateur de classe A, non-alcoolique.
« Je tiens à tous vous remercier pour ces beaux partages, la présence et l’implication de chacun d’entre vous.
C’est une joie de rencontrer et d’entendre des professionnels d’horizons variés parler ainsi des Alcooliques anonymes. Ce sont des échanges riches qui nous montrent que peu à peu la collaboration se développe entre les professionnels et notre association, que l’on se connaît de mieux en mieux, et cela donne beaucoup d’espoir pour la suite : continuer à travailler ensemble, de manière complémentaire, pour venir en aide aux malades alcooliques.
C’était un plaisir de vous accueillir et de passer ce moment avec vous, j’espère qu’il y en aura d’autres !
Merci à toute l’équipe de préparation du congrès qui a rendu possible cette table ronde. »
Vous pourrez prochainement télécharger ici le livret complet des textes contenus dans cette page.