Reportage au coeur des Alcooliques anonymes de Rouen
Extrait de l’article paru dans le quotidien Paris-Normandie du 28 août 2019
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Ce soir-là, ils sont huit. Certains, habitués des lieux, se connaissent depuis longtemps ; d’autres viennent pour la première fois. Ils ont tous des parcours différents, mais partagent un même besoin d’entraide pour conserver l’alcool loin de leurs préoccupations quotidiennes, pour enfin pouvoir « réapprendre à vivre ».
« Pour tenir, on fonctionne par tranche de 24 heures »
On ne connaîtra de ces participants d’un soir que leurs prénoms, un morceau de vie, une anecdote, rien qui pourrait les mettre mal à l’aise. En effet, le poids de la société est, selon eux, trop lourd à porter : car être alcoolique pour le grand public n’est pas seulement avoir une maladie, c’est se détruire et détruire son entourage.
Comme le prouve Philippe, plusieurs décennies d’abstinence au compteur : « L’alcool c’est une plante carnivore. Ce n’est pas comme pour le tabac, quand on dit à quelqu’un que l’on essaie d’arrêter la cigarette, la personne va être compatissante et nous encourager. Alors que lorsqu’on dit que l’on est alcoolique, on a honte de nous. »
C’est donc le regard de la société qui pousse ces personnes à se raconter pour s’extraire du monde extérieur, en exprimant par exemple une émotion de colère ou une tentation ressentie à la vue d’une publicité pour une boisson alcoolisée. « On ne dit jamais que l’on ne reboira pas, car les promesses sont bien souvent non tenues. Pour tenir, on fonctionne par tranche de 24 heures, parfois moins », poursuit-il. Cette méthode journalière fait partie des thèmes abordés par le groupe. Ce soir, chacun partage son expérience de ce palier des 24 heures. Pour Madeleine, il s’agit du moyen le plus efficace pour tenir. « Je ressassais le passé sans arrêt et j’étais rongée par le remords. En découpant ma journée en périodes de 15 minutes, j’ai appris à voir autrement. Je me suis rendu compte que demain était trop loin pour moi et que je ne pouvais me fixer des objectifs que dans le présent. »
Se soigner de l’alcoolisme, c’est avant tout le faire pour soi et non pour les autres, comme le préconisent les principaux concernés. « On nous dit d’arrêter de boire pour sa famille, ses amis, mais si on n’a pas la volonté d’arrêter, on continuera », certifie Philippe qui, à cause de l’alcool, a perdu famille, amis, emploi, permis et souffre aujourd’hui de brûlures internes qui l’empêchent de respirer naturellement.
Charly, trente ans sans boire, se souvient encore de son parcours et de ses techniques bien rôdées. « Je n’avais pas la main verte, mais je me suis mis au jardin et quand je tondais la pelouse, j’allais régulièrement recharger les jerricans pour alimenter la tondeuse. Ma femme me demandait pourquoi je n’achetais pas des bidons plus grands afin d’être tranquille pour un moment. Je répondais que je ne les trouvais pas, ou une autre excuse. Alors j’allais récupérer une bière au comptoir de la station-service, et ce, à plusieurs reprises dans la journée », déplore-t-il.
« Les témoignages m’aident à supporter la maladie »
Vivre au jour le jour, c’est donc l’objectif que se fixent les personnes alcooliques, car oui, elles se considèrent toujours comme alcooliques, même après plusieurs années d’abstinence. « On vient régulièrement aux réunions, car on s’identifie aux gens autour de la table », souligne Agnès. Le but : ne pas oublier qu’il est possible de replonger et soutenir les nouveaux arrivants.
Pour cet autre Philippe, cette première réunion est source d’apprentissage. « J’ai du mal à gérer la tranche horaire 17-18 h, avoue-t-il, en découvrant la notion des 24 heures. Cela fait un mois que je participe aux réunions des AA et les témoignages m’aident à supporter la maladie. » D’après les membres de l’association, venir aux Alcooliques anonymes demeure le meilleur moyen de reprendre une vie normale.
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