Intervenir en prison
Martine et Paul** débutent les interventions en milieu fermé pour les Alcooliques anonymes à la maison d’arrêt de Charleville-Mézières dans les Ardennes. Nous avons souhaité en savoir plus … Ils nous racontent …
« Qu’est ce qui vous a donné envie de devenir intervenant AA en milieu fermé ? »
Martine : Lorsque la responsable régionale justice m’a parlé de ce service, dans un premier temps je n’ai pas été réceptive. Je redoutais de retrouver des personnes que j’avais côtoyées dans ma vie professionnelle et je tenais à préserver mon anonymat. Cependant j’y ai réfléchi, sachant qu’il manquait des volontaires. Lors de cette réflexion, je me suis dit que j’aurais pu, moi aussi me trouver, à un moment donné de mon parcours, en prison. J’ai commis des actes au volant notamment, qui auraient pu m’envoyer devant la justice. Mon passé difficile dans l’alcool m’a permis de me dire que moi aussi, je pouvais aller transmettre aux détenus, le message d’espoir d’un meilleur avenir, qu’un jour d’autres Alcooliques anonymes m’ont transmis. Maintenant que j’interviens, je me dis que j’ai eu de la chance, moi !
Paul : Moi aussi j’étais réticent. Ma profession est proche du secteur de la justice et je redoutais de retrouver des personnes de ce milieu. J’ai ensuite accepté de m’engager dans les interventions, même si j’éprouvais de l’appréhension. A compter du jour où je l’ai décidé, j’en ai été heureux ! Cela s’est fait et j’ai trouvé l’expérience positive.
« Comment se passent les formalités administratives ?
C’est la responsable régionale justice des AA qui a engagé la démarche administrative (NDLR : démarche qui varie suivant les établissements).
Martine : On n’entre pas en prison comme ça, il faut une carte et pour l’obtenir, la personne doit fournir un extrait d’acte de naissance, des photos d’identité, une Carte Nationale d’Identité valide et une vérification du casier judiciaire. Ensuite les gendarmes sont venus à la maison : j’ai eu un entretien appelé « examen de moralité » avec le chef de la gendarmerie. A aucun moment il ne m’a été demandé si j’étais alcoolique et cela m’a soulagé. Je me suis exprimée sur mes motivations d’aller parler aux personnes en milieu carcéral au sujet de l’alcoolisme. J’ai pu garder le silence vis-à-vis de mon passé d’alcoolique active. Mon interlocuteur a fait preuve d’une grande qualité d’écoute. Une fois ces démarches administratives effectuées, une réunion de préparation a eu lieu avec le directeur de la maison d’arrêt, la responsable du personnel carcéral et une visiteuse de prison en plus des trois Alcooliques anonymes intervenants. C’est l’administration pénitentiaire qui a choisi le jour de réunion ainsi que la date de la première réunion, par rapport à l’activité de la maison d’arrêt. Il a été rappelé que l’intervention devait se faire sous forme de réunions. Nous en avons choisi le premier thème : « l’alcoolisme, maladie progressive, incurable et mortelle. » Parler de l’alcoolisme comme d’une maladie, cela permet de faciliter la parole. Une maladie ça se soigne. Et le médicament, le traitement, ce sont les réunions des Alcooliques anonymes.
Paul : L’enquête de personnalité a duré plus d’une année. Un entretien a eu lieu avec la responsable du personnel pénitentiaire, qui était favorable au projet d’intervention en milieu carcéral. Nous avons été reçus par le directeur de la maison d’arrêt et la responsable du SPIP, fort intéressés par notre démarche et l’organisation de réunions avec les détenus. Par ailleurs, le directeur nous a expliqué que la maison d’arrêt de Charleville-Mézières est une structure carcérale où sont détenues des personnes qui, pour beaucoup, ont eu maille à partir avec l’alcool de manière plus ou moins directe.
« Comment se sent-on avant d’entrer pour la première fois dans une maison d’arrêt ? »
Paul : la première fois c’est troublant, stressant. Je ne savais pas du tout ce qui m’attendait derrière la porte. Le passage sous le portique de détection de métaux est impressionnant. J’ai une prothèse de hanche en titane, et le portique sonne systématiquement. Les surveillants ont bien compris le problème ! Mais la première fois j’étais mal à l’aise. Maintenant je sais qu’à chaque fois que je passe sous ce portique, ça sonne ! Les surveillants aussi l’ont compris !
Martine : les jours qui ont précédé, j’y ai pensé et je me suis demandée si je ne m’étais pas engagée dans une démarche trop impliquante émotionnellement pour moi. Savoir que j’y allais avec Paul m’a rassurée, même si je repensais à mes anciennes connaissances professionnelles que je pouvais retrouver. Je me suis par ailleurs, rapprochée de la visiteuse que nous avions rencontrée dans nos démarches, pour échanger et surtout me rassurer.
« Que se passe-t-il ensuite ? »
Le simple fait de franchir la porte de la maison d’arrêt est impressionnant, entendre celle-ci se refermer derrière l’est aussi. Après avoir passé deux sas et deux portiques de détecteurs de métaux, on parcourt plusieurs couloirs. Ce sont les gardiens qui s’occupent d’avertir les détenus pour venir en réunion. Par contre, l’heure de réunion est fixée à un moment où certains détenus travaillent encore à l’extérieur. Ils ne peuvent donc pas participer. Il est prévu de revoir l’heure de la réunion avec le directeur. C’est à nous de nous adapter à l’actualité et aux activités des participants. Le directeur souhaite garder un regard sur tous les livres et les brochures qui entrent dans la maison d’arrêt. Peut-être qu’avec le temps, il sera intéressant de mieux informer le personnel surveillant, qui peut prendre quelquefois notre venue à la légère. La réunion se déroule de la même manière que dans nos groupes à l’extérieur. Les personnes ont besoin de s’exprimer et ils utilisent cet espace. Les échanges sont riches. Car, rappelons-le, « ça vaut mieux que de poireauter en prison » ! (c’est le titre d’une publication des Alcooliques anonymes.)