Une nuit pleine de coups de fil

Bonjour, je suis un alcoolique, abstinent grâce aux Alcooliques anonymes. Ma nouvelle vie a commencé grâce à un simple coup de téléphone.

Et voici justement le récit d’une nuit pleine de coups de fil…

Je ne travaille pas le week-end, aussi j’ai proposé mes services pour une nuit de permanence du samedi au dimanche.

Le transfert des appels de la permanence nationale 09 69 39 40 20 vers mon numéro a été programmé automatiquement pour 21 heures ce samedi soir.

21 h 05, impatient , j’appelle moi-même ce numéro de mon mobile pour m’assurer que tout fonctionne. C’est mon téléphone fixe qui sonne. Le transfert a bien marché !

22 h 05 c’est parti, enfin le téléphone sonne.

Premier appel de la nuit. Il y en aura vingt-deux cette nuit-là.

 

Beaucoup de souffrances au bout du fil. De quoi me remémorer la mienne lorsque j’ai pris contact avec les Alcooliques anonymes la première fois en 2005.

Ce soir je vais bien, je n’ai pas bu d’alcool, je n’y pense plus, ce n’est plus une obsession dans ma tête. Cela je peux le transmettre aujourd’hui : Alcooliques anonymes ça marche pour moi.

D’ailleurs ce qui marche le mieux quand je parle avec un alcoolique en souffrance durant cette nuit, c’est quand je parle de moi, de comment j’étais, dans quel état j’étais, ce que l’alcool avait fait de moi. Souvent les questions des interlocuteurs tournent autour de cela. Ils cherchent à savoir s’ils sont seuls à vivre cet enfer.

Très vite ce que l’on appelle « l’identification» opère. Il naît une sorte de complicité au bout du fil. Une compréhension que seules deux personnes ayant vécue les mêmes choses peuvent comprendre.

Bientôt la question fatidique arrive : « et aujourd’hui vous ne buvez plus ? » Il est alors temps de transmettre ce que AA m’a donné. L’espoir, l’adresse d’une réunion, l’assurance que ça ne coûte rien d’essayer.

 

Plusieurs de ces personnes en souffrance cette nuit-là ont le désir d’essayer ; elles ont bien voulu me confier précieusement leur numéro de téléphone et la région où elles habitent. Tout aussi précieusement au petit matin j’ai confié ces numéros au correspondant de la permanence qui va les transférer à un membre AA qui habite tout près de chez elles et qui va les contacter rapidement pour les accompagner jusqu’à leur futur groupe.

 

Quelle joie aussi que de pouvoir répondre à quelques petits plaisantins pour qui l’alcool est encore un plaisir. Ils sont d’ailleurs souvent plusieurs à être intéressés par les AA, je les entend derrière leur camarade…  Je me dis qu’au moins, si un jour ils en ont besoin, ils connaîtront déjà notre numéro de permanence téléphonique.

 

Cette expérience de la permanence téléphonique est un cadeau qui m’est offert. A chaque fois que je fais cette permanence téléphonique, quelque petits signes venant de je ne sais où me laissent songeur.

Ce samedi là il y en a eu deux en particulier.

Premier “cadeau” :  je suis tombé sur le samedi du passage à l’heure d’hiver, ce qui fait que cette permanence a duré treize heures au lieu des douze habituelles !!!

Bien souvent au petit matin je commence à m’assoupir un peu tout en gardant l’oreille près du téléphone car souvent des personnes en détresse attendent aussi le lever du jour après une dure nuit  pour appeler les Alcooliques anonymes.

Deuxième cadeau : à 8 h 57, alors que la permanence se termine à 9 h, le téléphone a sonné une dernière fois. Au bout du fil la petite voix douce d’une femme qui souffre énormément de sa consommation d’alcool. Elle ne se sent pas bien du tout. C’est la première fois qu’elle ose en parler avec une autre personne. Je comprends vite qu’elle s’est déjà bien renseignée. Elle connaît déjà l’adresse et l’heure de sa future réunion. Elle a peur !  Doit-elle prendre rendez-vous ? Sera-t-elle obligée de parler ? Que va-t-elle trouver dans cette salle ? Et si elle croise quelqu’un qu’elle connaît ?…

Je la rassure en lui parlant de ma propre histoire : “je suis un alcoolique abstinent, le premier jour où j’ai frappé à la porte des Alcooliques anonymes…”

Cette jeune femme a conclu notre conversation en me confiant qu’elle n’avait plus peur, que mes mots l’avaient rassurée et qu’elle avait hâte d’aller à sa réunion.

Lorsque nous avons raccroché l’horloge indiquait que le transfert vers la permanence de jour avait été fait.

 

Il ne me reste plus qu’à m’assoupir l’esprit en paix et empreint de gratitude d’avoir trouvé quelqu’un au bout du fil le jour où j’ai appelé les Alcooliques anonymes en quête d’aide…